Qu’est ce que la conscience ?

La notion de conscience, au fil des siècles, a rendu perplexe les plus grands esprits et divisé les communautés scientifiques et religieuses, compte tenu de la diversité des opinions et définitions, chacune rattachée à un contexte culturel, philosophique, historique… qui aborde la réalité à partir d’un certain point de vue, celui de l‘observateur, par essence subjectif.

Le Larousse nous dit par exemple que la conscience (du latin consciencia, dérivé du verbe scire qui signifie croire), est la « connaissance, intuitive ou réflexive immédiate, que chacun a de son existence et de celle du monde extérieur. »

En d’autres termes, la conscience équivaudrait à la somme de la perception objective de la réalité et l’appréhension subjective de nos expériences.

Pour la science, la conscience se limite souvent à un ensemble de processus neurophysiologiques complexes indiquant une activité cérébrale spécifique liée à la perception sensorielle et au traitement des informations qui s’y rapportent par les zones du cerveau sollicitée.

Pour les religions, la conscience relève plutôt de la présence intrinsèque d’une entité supra-humaine qui opère en nous et se révèle peu à peu aux dévots et chercheurs de vérité.

La conscience selon le Yoga

Prenons aujourd’hui le point de vue du Yoga, plus particulièrement celui de Patanjali, l’éminent auteur des fameux Yoga Sutras.

Selon lui, la conscience est le Témoin silencieux en nous, notre vraie nature, toujours présente et qui se révèle naturellement « Tada Vasthu Svarupe Vasthanam (I.3)» lorsque les fluctuations du mental ont été apaisées « …Chitta Vritti Nirodha (I.2)», à la suite d’un long processus de discipline psycho-énergétique et de compréhension des rouages du mental.

Afin de mieux appréhender la portée de ces deux versets qui, à eux seuls, constituent à la fois les fondements de la pratique du Yoga et son aboutissement, il peut être utile de rappeler quelques notions exposées dans les Upanishads (portion finale des Vedas traitant de Brahman, la réalité absolue et de l’Atman, le Soi) sur la nature de l’être humain et plus particulièrement sur le mode de fonctionnement de la structure mentale et sa relation avec l’environnement.

La structure mentale (Antahkarana)

Les Rishis (sages réalisés) ont nommé la structure mentale Antahkarana, ou instrument cognitif interne, qui octroie à son détenteur la capacité de percevoir et d’interagir avec son environnement de façon plus ou moins consciente, et surtout, de réaliser sa nature divine.

Les Upanishads révèlent que notre structure mentale est composée de quatre parties distinctes (Manas, Chitta, Buddhi, Ahamkara) chacune dotée de capacités propres et intimement liées l’une à l’autre, oeuvrant de concert pour interagir avec le monde manifesté et transmettre à l’âme incarnée (Jiva) le matériel nécessaire à son évolution.

Manas : le mental

Manas, ou ce qu’on appelle communément le mental, remplit trois fonctions majeures :

  • Réception des impressions en provenance des sens (Indriyas).
  • Prétraitement et questionnement vis-à-vis des données collectées.
  • Transmission des questions à l’intellect (Buddhi) pour parvenir à une conclusion.

Manas est la partie de la structure mentale qui pense sans arrêt, qui produit ce bruit intérieur permanent issu de l’enchaînement incessant des pensées sans discernement.

La Sadhana (pratique spirituelle) permet d’apaiser Manas, de ralentir l’activité automatique du mental, et de réduire le processus d’identification avec les pensées, les émotions et les sensations, condition sine qua non pour commencer à percevoir le doux murmure de l’Être.

Chitta : la mémoire

Les fonctions de Chitta, ou la mémoire, sont :

  • Stockage des impressions en provenance des sens.
  • Stockage des Samskaras, impressions subconscientes accumulées résultant des habitudes développées au cours de nombreuses incarnations.

Chitta est notre base de données interne qui enregistre tout ce que nous expérimentons, et qui contient, à l’état latent, les germes de notre potentiel karmique. Notre caractère dans la présente incarnation est le résultat des Samskaras développés dans le passé. Un des buts de la Sadhana est de dissoudre les impressions subconscientes qui font obstacle à notre éveil et de développer de nouveaux Samskaras ou habitudes qui soutiendront notre démarche vers la réalisation du Soi, jusqu’à ce que la totalité de nos Samskaras soient épuisés et que nous puissions faire l’expérience de l’état d’union avec le Soi (Samadhi) d’une façon permanente. Le fait qu’un individu s’engage sur un chemin spirituel tôt dans sa vie est le signe de Samskaras spirituels hérités du passé.

Buddhi : l’intellect

Les fonctions de Buddhi, ou l’intellect, sont :

  • Réception des données, questions, doutes en provenance de Manas.
  • Comparaison, évaluation, réflexion en vue de parvenir à une décision, à une conclusion.
  • Transmission de la décision à l’égo (Ahamkara).

Buddhi est en haut de l’échelle de la structure mentale, juste avant l’égo (Ahamkara) et le Soi (Atman). Pour cette raison, le discernement (Viveka) joue un rôle essentiel dans le développement du disciple car il permet de déjouer un bon nombre de pièges et d’obstacles dressés sur notre chemin.

Ahamkara : l’égo

Ahamkara, ou l’égo, est la partie de nous qui dit « Je pense», « J’agis », « Je sens »… C’est le sentiment en nous que nous existons en tant qu’entité individuelle séparée de notre environnement et des autres êtres vivants. Une des caractéristiques de l’égo est l’identification aux diverses fluctuations qui émergent à la surface de la conscience (vrittis) : les pensées, les émotions, les sensations.

Les fonctions principales de l’égo sont de :

  • servir de base à la construction de notre personnalité,
  • permettre à nos Samskaras (impressions subconscientes) de s’exprimer pour épuiser la portion du Karma que nous avons à vivre dans cette incarnation (Prarabdha),
  • permettre l’acquisition de nouvelles tendances (Vasanas) qui donneront elles-mêmes naissance à de nouvelles habitudes et à une nouvelle personnalité qui, de préférence, soutiendront notre retour à la Conscience dans cette incarnation ou dans les prochaines.

L’égo, bien que indispensable au développement de l’être humain incarné, est considéré par les sages comme la source de tous les maux. En effet, à travers le processus d’identification aux Vrittis (fluctuations mentales), nous oublions notre nature réelle divine, le Soi (Atman), et recherchons à l’extérieur un remède à notre sentiment d’incomplétude que l’on ne peut pourtant trouver qu’à l’intérieur.

Atman : le Soi

Atman, ou le Soi, est la partie divine en nous, la Conscience, le témoin silencieux qui observe le monde manifesté (Prakriti) sans y prendre part, sans être affecté par le monde des noms et des formes. C’est la représentation du Divin (Brahman) au niveau de l’âme incarnée (Jiva).

Une étude approfondie de notre propre structure mentale nous révèle que ce que nous appelons communément nos pensées, nos émotions et nos sensations ne sont finalement que des objets perçus par la conscience, et ne constituent en aucun cas l’essence de notre identité.

La partie de nous qui perçoit la réalité, au-delà du circuit cognitif classique comprenant Manas et Buddhi, est Atman, le Soi, le Témoin silencieux qui entend, voit, goûte, sent et ressent, sans s’identifier aux objets expérimentés.

Le but du Yoga est de réaliser que notre véritable identité est au-delà des manifestations limitées de notre personnalité, au-delà des perceptions qui parviennent à notre conscience à travers les sens et le mental, et de reconnaître que notre essence est le champ de conscience qui perçoit, et non les objets perçus par les sens ou conçus par la pensée.

Hiérarchie interne

Le maître du royaume est le Soi (Atman). Il est la cause par laquelle tout le reste existe. Son premier ministre est l’intellect (Buddhi) qui a la capacité de discerner entre le réel, le permanent (Brahman ou Atman), et l’irréel, l’impermanent (Maya) et d’effectuer des choix éclairés. Lorsque Buddhi a été suffisamment purifié et développé, le discernement (Viveka) est présent et les choix vont dans le sens de l’évolution.

En l’absence de Viveka, c’est Avidya, l’ignorance, (de notre vraie nature) qui prédomine, invitant l’égo à œuvrer pour sa propre glorification et sa pérennité à travers des choix marqués par l’égoïsme qui mènent progressivement le royaume au déclin.

Le Soi est comme un chef d’orchestre derrière un miroir sans tain, le voile de Maya qui cache la réalité ultime aux instances qui lui sont subordonnées. Le Soi imprègne et perçoit tout, mais l’agrégat Manas, Buddhi, Ahamkara, Chitta ne le perçoit pas, trop absorbé à gérer la réalité extérieure et les nombreux processus internes qu’elle engendre, en particulier le phénomène d’attraction et de répulsion (Raga, Dvesha) qui pousse l’individu à rechercher le plaisir et à fuir la souffrance ainsi que la tendance marquée à l’identification aux objets perçus par la conscience.

A travers cette quête insensée pour les gratifications sensorielles, émotionnelles et mentales, l’individu a le sentiment illusoire d’apaiser sa souffrance, son malaise existentiel, alors qu’il s’éloigne à chaque fois un peu plus de sa vraie nature (Atman), qui elle seule détient le pouvoir de rétablir l’unité et l’harmonie entre les différents sujets du royaume.

Les états modifiés de conscience dans le Raja Yoga

Vue d’ensemble

Les états de conscience modifiés décrits par Patanjali dans les Yoga Sutras concernent plus particulièrement le yoga à huit branches (Ashtanga ou Raja Yoga) qui propose une méthode graduelle quasi-scientifique de maîtrise du mental par l’application d’un ensemble de préceptes moraux (Yama, Niyama) et de techniques visant d’abord au contrôle du corps (Asana), du souffle et de l’énergie (Pranayama) puis des sens (Pratyahara).

Chaque étape prépare le pratiquant à la suivante et le rapproche du calme mental et du degré de concentration nécessaire pour fixer le mental sans interruption sur un seul objet (Dharana).

Lorsque la concentration se prolonge, l’état de méditation (Dhyâna) survient spontanément et octroie au pratiquant la capacité de fixer sa conscience sur un objet sans discontinuité.

Le maintien de cet état méditatif intense (Dhyâna) engendre alors l’état d’absorption cognitive nommé Samadhi, le but du Yoga.

Étapes pour apaiser le mental

Revenons à présent au verset de Patanjali dans ses Yoga Sutras qui nous dit : « Yoga Chitta Vritti Nirodha » souvent traduit comme « Le Yoga est l’arrêt spontané des fluctuations qui émergent dans la conscience ».

Note : Chitta devrait ici être entendu comme conscience ou structure mentale et non comme subconscient ou base de données interne.

Parvenir à réfréner et apaiser les mouvements spontanés du mental (vrittis) requiert une longue pratique intégrale agissant sur les différentes couches de notre être (koshas) :

  • Physique (Annamayakosha) par une alimentation saine, l’exercice physique, les asanas, les kriyas (techniques de purification des organes)…
  • Énergétique (Pranamayakosha) par le pranayama…
  • Psycho-émotionnelle (Manomayakosha) par le jeûne, le japa (répétition de mantra), le kirtan (chant de mantras), l’expression saine de ses émotions, la méditation avec objet…
  • Intellectuelle (Vijnamayakosha) par la méditation sur des concepts, l’étude des textes, l’étude de son propre caractère en vue d’en réformer les travers…
  • Causal (Anandamayakosha) par la méditation sur le Soi, la méditation sans objet, le développement de la présence et de l’état de Témoin au quotidien…

Ainsi, loin d’être le résultat d’une démarche coercitive basée sur la répression des émotions et des pensées, la suspension des fluctuations du mental (Chitta Vritti Nirodha) survient spontanément lorsque

  • l’individu s’est libéré des causes majeures d’anxiété dans son existence en alignant ses conditions de vie et son environnement avec son aspiration consciente à évoluer (mode de vie, travail, relations…),
  • les différents corps ont été purifiés et harmonisés par une pratique constante (Abhyasa) et le détachement (Vairagya).

L’agitation mentale, obstacle principal à la perception du Soi, résulte de la présence de blocages psycho-énergétiques aux différents niveaux qui provoquent une pression interne rendant la méditation très difficile, nécessitant souvent un effort excessif de volonté. Plus l’énergie (Prana) peut circuler librement entre les couches, plus le mental s’apaise naturellement. Par ailleurs, la pratique du détachement joue ici un rôle prépondérant pour lâcher prise des désirs et peurs qui sont à la source de ces nœuds internes.

Lorsque les couches physique, vitale, émotionnelle et mentale ont été suffisamment purifiées et harmonisées par la Sadhana et le détachement, le pratiquant peut alors faire l’expérience d’états de conscience modifiés qui rendent la perception du Soi possible, comme état naturel.

Dharana : la concentration

Grâce aux pratiques préliminaires (yama, niyama, asana, pranayama, pratyahara), le corps et le mental ont été préparés à rester assis sans bouger et à garder la conscience à l’intérieur, sans être gêné par les sensations physiques ni distrait par les perceptions sensorielles.

La première étape du yoga que l’on pourrait qualifier d’interne, par rapport aux étapes précédentes, consiste à développer sa capacité à fixer le mental sur un seul objet. Il s’agit d’entraîner le mental à maintenir un flux de perceptions ininterrompu entre le sujet (le mental du méditant) et l’objet perçu.

Les objets utilisés peuvent être externes, une flamme de bougie, la nature… ou internes, les sensations corporelles, le prana dans le corps, les chakras, un mantra…

A ce stade déjà, la conscience se modifie et le cerveau produit des ondes alpha (entre 8 et 13 Hz) qui dénotent un état naturel de bien-être et de relaxation physique et mentale.

Pendant longtemps, la pratique de la méditation se résume principalement à exercer le mental à la concentration.

Les textes nous disent qu’un Dharana équivaut à environ 12 secondes de concentration intense et sans interruption. La prolongation de Dharana mène naturellement à Dhyâna.

Dhyâna : la méditation

Lorsque la concentration devient naturelle et survient sans effort, l’état de Dhyâna apparaît naturellement. Les textes nous disent que 12 Dharana équivalent à un Dhyâna, soit 144 secondes de concentration soutenue et ininterrompue sur un seul objet.

Au-delà de ces considérations techniques, la méditation est le début du dialogue entre l’individu et le Soi. Les impulsions en provenance de notre être intérieur sont si subtiles et ténues au regard du monde phénoménal qu’il est nécessaire, pour un certain temps, d’établir un silence absolu pour parvenir à en percevoir l’écho, faible murmure au sein du tumulte qui caractérise notre époque.

Peu à peu, un chemin se fraie à travers les couches successives qui recouvrent notre essence et laisse entrevoir la paix et la joie qui viennent du dedans et qui ne dépendent pas de paramètres extérieurs. Cet état de paix profonde stable et de joie sans objet est un signe de progrès dans sa pratique, bien plus que toutes expériences extrasensorielles, impermanentes par essence. Peu à peu, le calme mental devient un état naturel qui ne requiert pas d’effort soutenu mais un simple entretien quotidien et une application dans chaque instant de notre vie, pour insuffler la conscience dans tous nos actes, paroles et pensées.

L’état de méditation se caractérise par la présence dans le cerveau d’ondes Thêta (entre 4 et 7Hz) qui dénote un état de conscience proche du sommeil profond mais entièrement lucide.

Samâdhi : l’état d’absorption cognitive

Lorsque l’état de Dhyâna est suffisamment prolongé (12 Dhyânas), survient alors Samâdhi, l’état d’absorption cognitive où le sujet et l’objet fusionnent. Cet état très élevé survient lorsque la conscience cesse de s’identifier avec les fluctuations du mental (Vrittis), pour s’absorber dans la contemplation de sa propre essence (Atman).

Cet état est le plus haut but du Yoga. En fonction des traditions, il s’agit de l’union entre le Soi individuel (Atman) et le Soi universel (Brahman) pour le Vedanta, entre Shiva et Shakti pour le Tantra, entre la personnalité et l’être profond…

Patanjali a identifié deux sortes de Samadhi distincts.

Samprajnata Samâdhi

Cette forme de Samâdhi, dite avec différentiation, a comme point de départ un objet distinct. C’est l’équivalent du Sarvikalpa Samâdhi du Vedanta.

Il permet la compréhension et l’intégration des quatre manifestations de Prakriti (la Nature) :

  • Vitarka : observation et analyse de la nature matérielle jusqu’à ses propriétés élémentaires.
  • Vichara : observation de la réalité subtile, réflexion, discernement, expérience de la vérité sans passer par l’observation matérielle, capacité d’abstraction.
  • Ananda : félicité, joie pure émanant de l’intérieur et indépendante de l’extérieur.
  • Asmita : la conscience du Soi.

Dans ce type de Samâdhi, Les impressions subconscientes (Samskaras) sont encore présentes sous forme de graines prêtes à germer dans un contexte favorable.

Asamprajnata Samâdhi

L’autre forme, dite sans différentiation, la plus élevée, ne dépend plus du support d’un objet mais résulte de la fusion directe avec le Soi (Atman). C’est l’équivalent du Nirvikalpa Samâdhi en Vedanta.

Précédé par le Samprajnata Samâdhi, qui confère la connaissance de la Nature (Prakriti) et de ses quatre manifestations (matérielle, subtile, joie pure et conscience de l’Être), le Yogi peut alors s’en détacher et s’unir directement au Soi, au pur Atman, et faire l’expérience la plus élevée de l’existence humaine.

Les impressions subconscientes sont détruites par ce Samâdhi qui confère au Yogi la libération finale du cycle des incarnations.

Les Yogis ayant atteint ce niveau de conscience peuvent choisir de quitter leur corps ou demeurer incarné et servir l’humanité en partageant le fruit de leur découverte, qui ne peut d’ailleurs pas être transmis avec des mots…

Un Yogi libéré du cycle des incarnations et demeurant dans son corps physique est appelé un Jiva Mukta (libéré vivant).

Samyama

La combinaison de Dharana, Dhyâna et Samâdhi est appelée Samyama par Patanjali. Samyama est la capacité de fusionner avec un objet.

Dans les Yoga Sutras, l’auteur nous invite à faire l’expérience de Samyama avec une foule d’objets internes (chakras…) et externes (éléments de la nature) afin d’entraîner la conscience à lâcher prise de son sentiment d’individualité et s’approprier les caractéristiques de l’objet concerné. Cette pratique avancée est une préparation à la fusion avec le Soi, ultime étape où la conscience individuelle reconnaît son essence divine et s’unit à elle.

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